Universalité

Au début des années 1920, la jeune compagnie suisse Bol S.A. entend avoir sa part de succès dans l’économie nouvelle de la projection domestique. Emboîtant le pas à la firme française Pathé, elle formule l’alléchante promesse du « cinéma chez soi ». L’appareil qu’elle commercialise à partir de 1923, le Cinégraphe Bol, prétend « ramasser » plusieurs machines en une, il est vendu tout à la fois comme caméra et projecteur. À cette réversibilité, l’appareil associe selon son inventeur la plus grande simplicité : « M. Boolsky nous a déclaré que le fonctionnement de l’appareil était extrêmement simple et qu’un enfant de huit ans […] pouvait obtenir avec le “Bol” des vues parfaitement nettes. » Lors de son passage en Suisse en 1924, la jeune vedette du Kid, Jackie Coogan, fait la rencontre de Jacques Boolsky à Genève, qui lui remet un exemplaire du Cinégraphe Bol. En posant avec une main sur l’appareil, l’acteur semble fournir la preuve éclatante de sa facilité d’usage.

 

 

Ci-contre : L'acteur Jackie Coogan donne l'impression que la manipulation du Cinégraphe Bol est un jeu d'enfant. Revue suisse du cinéma (Lausanne), n°25, 6 décembre 1924.

 

Ci-dessous : Cinégraphe Bol et résistance basse tension, Bol S.A., Genève (Suisse), c. 1923, Fondation Bolex-Ouvelay.

Une fois l’affaire reprise par Paillard en 1930, le nom Bolex va aussi se faire une réputation sur la base de la flexibilité des appareils. En promouvant un projecteur adaptable à deux formats de pellicule substandard (le 16 mm et le 9,5 mm), Paillard mise sur une innovation capable de la distinguer nettement sur le marché du cinéma amateur. Un chroniqueur de La Nature s’enthousiasme pour cette innovation marquant un pas en direction des appareils « universels », qui élargissent le répertoire des films accessibles en même temps qu’ils comblent « les amateurs privilégiés ». Le projecteur trifilm commercialisé à partir de 1936 affirme cette tendance, il est présenté comme la combinaison de « trois projecteurs réunis en un seul ».


Cette aspiration à l’universalité tient également à la nécessité de distribuer les appareils de cinéma au-delà des frontières helvétiques. L’effort porté sur la réalisation de projecteurs robustes, flexibles et transportables correspond aux besoins d’un marché envisagé d’emblée à une échelle internationale. Dès 1932, le projecteur bifilm est disponible à l’étranger, comme chez ce détaillant de Casablanca où le nom Paillard, encore associé aux « Fournitures générales pour machines parlantes », prend un sens nouveau avec la marque Bolex, fraîchement apposée sur la vitrine. Habituée à prêter l’oreille aux rumeurs du monde, la firme Paillard est attentive à la montée des nationalismes, mais elle continue d’exporter vers différents horizons, comme à l’Allemagne du Troisième Reich qui dote ses écoles d’appareils de projection en 1934.

 

 

Ci-contre : Le projecteur bifilm figure en bonne place parmi les nouveautés de ce magasin de Casablanca en 1932. Archives cantonales vaudoises, fonds Paillard-Hermès-Precisa, PP680/3125.

 

Ci-dessous :

- Projecteur modèle G bifilm, Sainte-Croix (Suisse), c. 1930, Fondation Bolex-Ouvelay.

- Projecteur Paillard-Bolex G

Lorsqu’elle dresse le portrait des usagers les plus répandus des projecteurs de type G, la firme suisse fait apparaître la multiplicité des espaces où doit pouvoir fonctionner l’appareil : écoles, hôpitaux, églises, entreprises, etc. Les régions excentrées des colonies anglaises ou françaises sont aussi visées, le cinéma parvient jusqu’au « colon dans la brousse », il touche les « grands fermiers isolés ». Après la guerre, les projecteurs Bolex se procurent aussi bien à Madagascar, où un vendeur a installé une modeste baraque en 1952, qu’au Nigeria, dans un stand débordant de prospectus et d’appareils, surmonté d’un imposant « 3D » qui annonce la disponibilité du procédé stéréoscopique dans cette partie du monde en 1954.

 

" Un certain nombre de constructeurs, par exemple la maison Paillard, établissant maintenant des projecteurs dits bifilms, pouvant servir indifféremment à la projection des films de 16 ou de 9.5 mm par le simple remplacement du débiteur et du couloir. Ces appareils sont ainsi vraiment universels."

L. Piccard, 1932

 

 

Ci-contre : Le dispositif stéréoscopique Kern-Paillard est disponible à Lagos en 1954, alors que le Nigeria est encore une colonie britannique. Archives cantonales vaudoises, fonds Paillard-Hermès-Precisa, PP680/3133.

 

Ci-dessous :

- Kit de projection stéréoscopique Kern-Paillard, Aarau et Sainte-Croix (Suisse), c. 1952, Fondation Bolex-Ouvelay.

- Boîte d'accessoires pour projecteur G3, Sainte-Croix (Suisse), c. 1939, Fondation Bolex-Ouvelay.