Typologie des films de voyages amateurs

Pour cette typologie, nous croiserons trois axes : le traitement (la forme), la fonction (pourquoi filme-t-on ?) et la relation à l’Autre (espace et personne).

 

Le film de voyage en famille
Il est centré sur la famille ; le film montre les moments marquants du voyage pour la famille et les espaces vus par la famille. Les Autres existent peu. L’ambition n’est pas de faire du cinéma (de bien filmer) mais d’engranger des souvenirs. On filme pour le futur : pour revivre le voyage en famille.

 

Le film de voyage pour raisons professionnelles
Il montre les lieux de travail, les usines visitées. Il prend parfois la forme du documentaire (La naissance d’une voiture dans les usines Fiat, filmée par D. Alberti). Il se combine volontiers avec le film de famille. Mais l’univers professionnel est surtout un bon intermédiaire pour approcher un espace autre et rencontrer l’Autre (Kinsmen). Le film pour raisons professionnelles ouvre ainsi sur d’autres types de film de voyage.

 

Le film de groupe
Il n’est que du film de famille élargi ; il fonctionne sur le même mode : on filme pour le groupe. Dante Alberti filme ainsi les voyages qu’il effectue dans le cadre de clubs automobiles (courses, rallyes, etc.). Il montre le vécu du groupe, ses rituels, les pique-niques, les jeux collectifs, etc. L’espace parcouru n’est pas le propos du film, seulement le cadre ; l’Autre est absent.

 

 

Ci-contre : La naissance d'une voiture, dans les usines Fiat, Dante Alberti, Home Movies Bologne

 

Retrouvez ci-dessous les films de Dante Alberti - Home Movies Bologne :

" Arrivée à Fiat "
" Ici ils sont tentants "
" Reconstruire "
" La grandeur et la petitesse "
" Itinéraire romain "
" Rome infinie "
" Vestiges du régime "
" Seul vieux pont "
" Départ sur le Gênes Michel-Ange "
" Départ sur le Michel-Ange Naples "

 

Le film de colon
Filmant ses voyages dans la colonie, John Kinsmen insiste également sur la vie du groupe avec lequel il se déplace, toutefois, ici, l’Autre est présent. C’est que dans la colonie, le colon est chez lui ; le film donne donc à voir l’espace de l’Autre de l’intérieur apportant de la sorte des informations d’ordre ethnographique, mais le point de vue est biaisé par la relation de pouvoir : les autres se plient à la volonté de celui qui filme comme les enfants se plient à celle du père dans le film de famille (parfois avec réticence).

 

Le film empathique
Bien que voyageant dans les colonies, Charles De Maistre (peut-être parce qu’il est prêtre) échappe (en partie) aux travers du film de colon. Ses films de voyage fonctionnent à l’empathie : le monde entier est pour lui une grande famille qu’il aborde avec attention, ouverture et simplicité. Du coup les gens se laissent volontiers  filmer; d’où toute une série de portraits en très gros plans de personnes souriantes (hommes, femmes, jeunes, vieux, français, arabes). L’empathie se sent aussi dans la façon qu’il a de filmer les espaces dans leur beauté spécifique.

 

Le film de touriste
On filme pour retrouver, voir, confirmer les images clichés que l’on a déjà dans la tête (c’est le contraire de la vraie exploration) ; l’insistance est mise sur les traditions, le passé, les lieux célèbres ; au besoin, on force le réel (l’Autre) pour qu’il se conforme à cette pré-vision en ne filmant pas ce qui n’entre pas dans le cadre prévu. D. Alberti (voyage en Autriche, aux USA, etc.) ; J. Kinsmen (années 50).

 

 

Ci-contre : Voyage en Autriche, Dante Alberti, Home Movies Bologne

Le film carnet de notes
On filme comme on prend des notes, dans l’ordre chronologique du voyage ; on passe d’un sujet à un autre sans transition ; les sujets sont traités de façon différente en termes de temps (parfois très courts ou très longs), et en termes de forme : on trouve un peu tous les types (film pour raisons professionnelles, film de famille, film touristique, film de groupe, etc.). Les films de Kinsmen me semblent fonctionner de cette façon.

 

Filmer pour les absents
Voyager (surtout pour des raisons professionnelles), c’est souvent quitter sa famille, ses proches : le film se fait alors adresse aux absents prenant parfois la forme d’une lettre. L’exposition en propose une version intéressante ; certains films de De Maistre sont destinés aux familles de marins ; ce ne sont pas des lettres mais ils visent à permettre aux familles de voir comment celui qui est parti a vécu le voyage et ce qu’il a vu.

 

Le film performatif
Voyager, c’est quitter son espace habituel pour entrer dans un espace autre. Filmer aide à s’approprier cet espace ; on filme alors pour l’effet que cela produit dans le présent du tournage. Le viseur fonctionne comme un écran protecteur face à l’Autre, mais aussi comme un opérateur aidant à voir l’espace autre. Toutefois, si le filmeur a grand plaisir à voir le monde à travers le viseur, il ne pense pas trop à ce que cela donnera au visionnement, … pour le plus grand malheur du spectateur confronté à des images souvent insupportablement bougées (Dimitris Georgopoulos).

 

 

Ci-contre : Valise, John Kinsmen, Cinémathèque des Pays de Savoie et de l'Ain

Voyager pour faire du cinéma

Certains films manifestent un réel désir de cinéma : prise de vues et montage élaborés, souci de structuration, générique, parfois même commentaire, musique, bruits d’ambiance. Dans ce cadre, on voyage pour filmer ; le film est le but du voyage. On traite un sujet, souvent avec une volonté discursive affichée (commentaire). Les films de Régine Le Hénaff en sont un bon exemple.

Ici le filmeur vise un public. Du coup, il filme en ayant en tête ce qui peut toucher le spectateur : d’où la tentation du pittoresque, de l’exotisme, voire du spectaculaire qui peut conduire à en rajouter dans le commentaire ou à faire des effets : le bruit de la terre qui bout (Soborom) ; les portes qui se ferment avant la nuit et l’arrivée des hommes lions (Le Hénaff).

 

 

 

Ci-contre : Rites sauvages, Régine Le Hénaff, Cinémathèque de Bretagne

On peut repérer différentes sous catégories :
 

Le film d’exploration
Dans Soborom, Le Henaff raconte sur le mode personnel (JE narratif) les différentes étapes d’une expédition, avec ses péripéties (le « tolage ») et ses découvertes. Certains (Georges Barbey) n’hésitent pas à se mettre en scène, demandant à un tiers de prendre la caméra.
 

Le film de voyage fictionnalisé
Tafraoute raconte l’histoire d’un village qui a failli mourir (les hommes le quittent) et sa résurrection (le retour); bien évidemment tout cela a été tourné au même moment, mais le filmage et le montage sont organisés pour produire un effet d’opposition entre le passé et le présent.
 

Le film de voyage poétique
Ciel du Maroc met en parallèle des planeurs et des cigognes, Formes et couleurs, les sculptures faites par les artistes africains et la vie quotidienne.
 

Le film témoignage
Il ne s’agit plus seulement de faire du cinéma mais de faire du cinéma pour rendre compte de l’état du monde. Le témoin s’engage sur ce qu’il donne à voir (contrat de vérité). Le générique d’Yda et les hommes lions le souligne un peu lourdement : « Un document authentique réalisé au Tchad par RlH ». Renaud Dulong (Le témoin oculaire) souligne que le témoin s’engage sur son corps: Le Hénaff prend des risques et témoigne en tant que femme (Chirurgie barbare), même si cela ne va pas sans voyeurisme, ni une certaine complaisance.
 

Autre façon de témoigner : donner la parole à l’Autre.
Le commentaire des Hommes lions fait parler Yda à la première personne, mais c’est une parole rapportée (pas de son synchrone). Plus tard, avec la vidéo, on passera au cinéma direct ; il arrivera même que le caméscope soit confié à l’Autre.


 

Le rôle d’une typologie est de proposer des types permettant d’interroger et donc de mieux comprendre le fonctionnement des films. Les films eux-mêmes sont toujours des objets complexes qui mêlent plusieurs types.


 

Ci-contre : Formes et couleurs, Régine Le Hénaff, Cinémathèque de Bretagne

 

Régine Le Hénaff, "Formes et couleurs", Cinémathèque de Bretagne