Carnets de notes de John Kinsmen

Le fonds John Kinsmen est l’un des premiers fonds collectés par la Cinémathèque des Pays de Savoie et de l’Ain alors naissante en 1998.

Constitué de 172 bobines 16mm, représentant plus de 21 heures de films, retrouvées à l’usine familiale désaffectée la Kinsite à Seyssel, commune de l’Ain, et au domicile de l’ancien concierge, ce fonds était voué à disparaître. Le gardien de l’usine avait en effet reçu la consigne par la famille de Monsieur Kinsmen de les brûler. Sans qu’il n’ait pu s’y résoudre, les copies restaient entreposées là jusqu’à leur redécouverte heureuse lors de la transformation de cette friche industrielle en un centre d’art contemporain à la fin des années 1990. Le nombre de bobines retrouvées, la qualité exceptionnelle des films 16mm, la période filmée, près de 50 ans, des années 20 aux années 70, intriguent très tôt l’équipe de la Cinémathèque. Un premier travail de documentation est mené à l’époque, puis voyant que le fonds ne concerne pas directement les départements savoyards il reste en attente de traitement. C’est seulement en 2014 que la Cinémathèque parvient à lancer le projet de traitement du fonds Kinsmen avec le soutien de la Fondation du Patrimoine et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes autour d’un appel à souscription. Les phases d’indexation, documentation, numérisation, conservation se déroulent de 2015 à 2017 et au sein du projet EntreLACS la valorisation de ce trésor peut commencer.

 

 

Ci-contre : Ouvrières, John Kinsmen, Cinémathèque des Pays de Savoie et de l'Ain

Dans le dernier quart du XIXème siècle, John Kinsmen, grand-père de Monsieur K., originaire de Cornouailles, s’installe à Genève puis à Seyssel pour fonder une usine d’explosifs et de fabrication de mèches lentes, la Kinsite. La famille s’établit dans la région sur trois générations et vit entre Seyssel et Genève. John Kinsmen, Monsieur K., petit-fils du fondateur de l’usine familial, né en 1897 à Seyssel, suit sa scolarité en sciences à Genève avant d’être incorporé dans l’armée en 1916. Pendant la Première Guerre Mondiale, un parcours brillant l’attend entre promotions militaires et réussite de ses études de physique chimie à Besançon.

« Excellent officier, jeune vigoureux et brave, a remplacé son Commandant de batterie dans des circonstances délicates du 21 au 31 mars 1918. Ses connaissances professionnelles lui ont permis d'obtenir d'excellents résultats dans ses tirs, tandis que son entrain et sa bonne humeur faisaient oublier aux hommes leurs fatigues, a fait preuve de sang-froid et de décision notamment dans la nuit du 27 au 28 mars 1918 au cours d'une opération périlleuse à proximité de l'ennemi » peut-on lire dans son livret militaire.

Démobilisé après-guerre, de retour à Seyssel, John Kinsmen s’attelle à développer l’entreprise familiale. Avec ses 58 ouvriers dès les années 1920, l’entreprise exporte vers l’Europe et les colonies. A la fin des années 1930 l’entreprise compte quatre usines à Seyssel, Ain, à Lamarche-sur-Saône en Côte d'Or, à Bellefontaine en Algérie et à Casablanca au Maroc.

 

 

Ci-contre : Portrait de John Kinsmen, Cinémathèque des Pays de Savoie et de l'Ain

Ci-dessous : Ouvrière, John Kinsmen, Cinémathèque des Pays de Savoie et de l'Ain

John Kinsmen s’implique également dans la vie politique locale, président du syndicat d’électricité de Seyssel dans les années 1920, délégué cantonal au début des années 1930 puis maire de la commune à partir de 1935. Avec l’éclatement de la seconde guerre mondiale, John Kinsmen réintègre l’armée et participe à la résistance du Donon. Il sera fait prisonnier pendant une année par le commandement allemand. Au sortir de la guerre, décoré de la Croix de Guerre et de la Médaille de la Marne, il sera de nouveau élu maire de Seyssel fonction qu’il ne quittera plus jusqu’à 1977. Fait Chevalier de la Légion d’honneur en 1949, puis Officier du même grade en 1964, avant de recevoir la médaille d’or du travail et du mérite commercial en 1970, Monsieur K. pour ceux qui l’ont connu, a mené une vie très investie dans le développement de sa commune, les habitants se souviennent encore du premier feu d’artifice qu’il offrait au début des années 1950.

 

Ci-contre : John Kinsmen, Cinémathèque des Pays de Savoie et de l'Ain

Mais c’est véritablement la passion du voyage et la volonté de rapporter des carnets filmés qui font qu’au sein des collections de la Cinémathèque des Pays de Savoie et de l’Ain, l’œuvre amateur de John Kinsmen est exceptionnelle. Peut-être initialement pour des raisons professionnelles, mais très souvent accompagné de son épouse, Elisabeth, et de sa fille, Denise, John Kinsmen parcourt le monde entier de la fin des années 1920 à la fin des années 1960. Dans les années 1930, en Europe et au Maghreb, alors sous occupation coloniale, Monsieur K. est un industriel « aventurier » en quelque sorte, qui s’immisce avec sa caméra dans l’intimité des pays qu’il traverse. Il réalise de beaux portraits, pose sa caméra et filme les passants. Il s’intéresse aux processions, au sport, aux défilés militaires, à l’architecture. Il aime situer les plans qu’il rapporte et introduit souvent une carte, un nom de lieu. Des années de guerre, a-t-il filmé nous ne le saurons pas, rien n’est conservé dans le fonds. Il reprend ses voyages filmés dans les années 1950 et continue de parcourir le monde en allant plus loin, aux Etats-Unis, en Asie, jusqu’au Japon. Ce sont bien souvent des congrès du Rotary Club qui le poussent à voyager désormais. Il aime le voyage, la mobilité, bouger, les nombreux plans aériens, de bateaux, de sorties de port, les caméras embarquées en témoignent. Une fois montés, il projetait ses films, certains s’en souviennent encore, à ses proches mais pas seulement. Il introduisait ainsi son discours lors d’un Congrès du Rotary dans les années 1960 :

« Causerie agrémentée d’une projection ! Telle est la présentation donnée par la presse à cette soirée au cours de laquelle j’ai le redoutable honneur d’essayer de vous distraire ! En vérité il s’agit plutôt de la vision d’un film, film d’amateur bien sûr, film de voyage de plus, film muet enfin ».

 

 

Ci-contre : John Kinsmen et sa femme, Cinémathèque des Pays de Savoie et de l'Ain

 

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