Projecteur "Bouvard"

Du bon usage des pièces de monnaie
ou "L'instit' fabrique son projecteur"

C'est en 1999, lors des premiers pas de collecte pour la Cinémathèque des Pays de Savoie, qu'une "sortie de grenier" savoyarde nous apporta le rare objet - par sa facture - décrit ci-après. Il trônait devant la maison lors de notre visite, au milieu de chambres photographiques et d'agrandisseurs "improbables" fabriqués dans les années 1920 par les mains d'Eugène Bouvard, instituteur à Grésy-sur-Aix puis à Chambéry.

Ladite curiosité quelque peu oxydée, ornée de toiles d'araignées et d'un joli papillon desséché, attire mon regard, évoquant les lanternes cinématographiques des années 1910 à 1920, hors son format plus imposant.

Les plaques photographiques négatives au format 9x13 cm qui accompagnent ces objets d'un autre âge seront ensuite fort précieuses pour en savoir plus. Le dépôt est effectué et remplit le coffre de la voiture pour inventaire, précédé de photographies détaillées. Mon établi accueille l'objet convoité et les surprises s'additionnent.

Le socle en chêne est classique, la lanterne qui y est fixée l'est tout autant, quoique l'œilleton coloré permettant de vérifier la bonne combustion de la lampe à pétrole d'origine est ici remplacé par un cataphote de bicyclette ! L'embase de la moderne lampe électrique n'est rien d'autre qu'une semelle de fer à repasser !...

...Ça sent la bidouille !
Pour moi, ça sent bon !

Le passe-vues alternatif pour les vues 8,5x10 cm est toujours présent quoiqu'allegé par les locataires du grenier, gourmands en bois de sapin ! Une embase en bois profilée en queue d'aronde permet d'adapter temporairement un dispositif pour la projection de vues fixes au format 35 mm. Ledit passe-vues en frêne doit tout à l'adresse de son artisan-ébéniste-instituteur. La même embase peut également accueillir la "perle", soit un mécanisme maison de projection de films 35 mm.

Difficile à décrire tant les pièces constitutives sont anachroniques : l'embase principale est issue d'une  pompe à eau d'un moteur d'automobile et les débiteurs sont tournés puis finement usinés à la lime pour l'obtention de leur dentition ! De même pour les presseurs dont les joues utilisent la monnaie de l'époque, ce qui permet de dater l'appareil vers 1923. La transmission des mouvements fait appel à des engrenages coniques de moulin à café, tout comme sa manivelle d'entraînement. Les poulies et chaînes semblent issues d'une ou plusieurs horloges franc-comtoises. Pour les courroies, les gaines de câbles de freins de bicyclettes sont recyclées; les soudures à l'étain font le reste pour l'assemblage ainsi que la visserie de compas et lunetterie... et j'en oublie.

Une "boîte à fouillis" témoigne que rien ne se jette et que "Ça peut toujours servir" : visserie, chutes de métaux issues de démontage d'objets inconnus, etc...

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Eugène Bouvard grave à son nom des plaques de laiton sur l'ensemble de ses créations, tout comme la plaque émaillée de son domicile et son statut d'instituteur affiché, porteur de sens et d'engagement politique au-delà de son statut professionnel.

Il sera également l'opérateur projectionniste de l'Office Régional du Cinéma Éducateur à Chambéry et fabrique la centrale hydro-électrique permettant l'éclairage public du Hameau des Déserts. Son domicile se situe proche du Col de Plainpalais où il accède avec son side-car Terrot 350, sa petite famille sur le tan-sad et dans le "panier".

Son investissement dans le cinéma éducateur ne peut faire de doute. S'en emparer jusqu'à construire un appareil hors du commun laisse rêveur. Seule ombre au tableau, à sa retraite, il grattera l'émulsion de ses rares films nitrate afin d'en recueillir du chlorate de potassium, bien utile dans la composition des cartouches de chasse. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme !

La revue "Système D" a fait l'apologie du bricolage en son temps, dans les années 1950-60 et se poursuit toujours aujourd'hui avec nos "assembleurs", eux, armés de circuits intégrés, de composants électroniques et de fers à souder.
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Claude Bataille

Déposant : Marcel Roullet, gendre d'Eugène Bouvard

Ci-contre, Eugène Bouvard posant avec son tour d'usinage

Krupp Ernemann KINOX II

Le projecteur 35mm Kinox a marqué en 1914 le début du cinéma scolaire et de salon. L’entreprise Ernemann à Dresde l’annonçait comme :

Le cinématographe familial idéal. Sans lampe à arc, sans mécanisme compliqué ! Pas de dissipation de chaleur, pas de danger d'incendie ! Tout amateur, tout enfant peut immédiatement obtenir des images merveilleusement brillantes, stables et sans scintillement avec cette petite machine de précision ! Demandez gratuitement la liste des prix intéressants du Kinox. Disponible dans tous les magasins de photo. Magnifique cadeau de Noël. Prix : 275 Marks.

Ce projecteur est une construction élégante et incurvée, il est assez léger et portable et ressemble, avec son couvercle bombé et sa poignée, à une machine à coudre. La lampe a une puissance faible pour limiter les dangers de la pellicule nitrate. Le transport du film est assuré par une griffe. En 1920 Ernemann lance le Kinox II et remplace cette griffe par un mécanisme à croix de Malte, plus souple pour la pellicule. Un moteur d’entrainement est disponible en option.

L’entreprise a commercialisé entre 1905 et 1926 pas moins de vingt-deux modèles différents de projecteurs avec un nombre total dépassant les 60 000 exemplaires. Elle fusionne en 1926 avec Hahn-Goertz, ICA, Contessa-Nettel et Krupp et continue de produire de l’équipement cinématographique sous le nom de Zeiss Ikon AG (Dresde).
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David Landolf

Fabriqué dans les années 1920

Utilisation simplifiée
Entrainement manuel, moteur en option
Table de projection démontable en bois
Couvercle en cloche, type machine à coudre
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Déposé par Victor Cuchet en 2000 cet appareil a été utilisé dans les milieux laïcs (écoles et patronages) de La Roche-Sur-Foron en Haute-Savoie, probablement dans le cadre du "Cinéma éducateur"

Quelques belles photos d'un Kinox II en parfait état sur antiq-photo.com >>>