Mobilité

La portabilité de la caméra est un enjeu important du processus de démocratisation du cinéma amateur. Malgré le succès de la H16 auprès des cinéastes semiprofessionnels, Paillard doit diversifier son offre pour rejoindre l’amateur occasionnel, qui ne goûte guère l’idée de transporter une caméra de trois kilos cinq. Aussi propose-t-elle dès 1942 une première caméra 8 mm de poche, que l’on peut facilement « glisser dans un sac à main » : la Bolex L8. Pesant moins de 700 grammes, cette caméra à lentille unique connaît avec les années diverses itérations (les modèles B8, C8 et D8L) et s’impose comme « l’autre visage » de Bolex.


L’iconographie publicitaire – au demeurant très stéréotypée – s’adresse d’ailleurs pour la première fois à la clientèle féminine. Décrite comme « la plus élégante des caméras de poche », la L8 est présentée au côté d’une paire de gants et de sa luxueuse « pochette de peau chamoisée », tel un article de mode ou un bijou.

 

Ce souci de portabilité et d'élégance se retrouve non seulement dans toute la gamme de caméras 8 mm mais aussi dans plusieurs projecteurs, comme le très populaire modèle 18-5. Vanté pour sa facilité de transport, il se confond littéralement, dans les brochures publicitaires, avec un sac à main! En 1976, après être passée aux mains de l'autrichienne Eumig, la branche Bolex proposera même un projecteur tout-en-un qui ressemble à un téléviseur et peut être déplacé sans effort. La portabilité devient ainsi un gage de versatilité : le projecteur n'est plus confiné à un seul et même espace, mais il peut s'adapter aux différents lieux et publics.

 

Les appareils Bolex ne sont pas seulement portables, ils sont aussi mobiles. Bien qu’il soit rare de trouver des exemples de « caméras embarquées » avant les années 1960, cela n’empêche pas la caméra Bolex de s’illustrer dans les airs. En 1956, l’aviateur hollandais Bernard van Gils développe un procédé permettant d’actionner en plein vol la H16 arrimée à l’arrière de son planeur. L’année suivante, le parachutiste André Suire, équipé d’un casque inusité auquel est rivée une caméra Bolex, filme pour la première fois un saut en chute libre de 5000 m.

 

 

Ci-contre : Caméra L8 et sa pochette, années 1940. Fondation Bolex-Ouvelay.

Peu à peu, l’idée que la prise de vues puisse participer directement à l’action fait son chemin, sans doute sous l’impulsion du « cinéma direct » et de la Nouvelle Vague, qui bouleversent la conception classique du « cadrage ». Dans les années 1960, Bolex Reporter multiplie les articles offrant des conseils pour le tournage en mouvement, que ce soit en voiture, en bateau ou même en char à voile. D’ingénieux cinéastes bricolent le dispositif adapté à leur activité, préfigurant l’essor des drones et autres caméras de type GoPro. Le skieur Jim Farnsworth met au point en 1962 un support pour sa Bolex qui lui permet de filmer tout en dévalant les pentes à plus de 70 km/h.

 

" Il ne faut pas hésiter à réaliser des plans à l'épaule plus ambitieux. [...] Il y a des moments où la caméra doit être empoignée et déplacée. De tels plans peuvent sembler imparfaits, mais c'est précisément cette imperfection qui les rend efficaces. "

Ira Latour et Hugh Pennebaker, 1960

 

 

Ci-contre : Le skieur américain Jim Farmsworth équipé de son support pour caméra H16, années 1960. Fondation Bolex-Ouvelay.

Les modes d’emploi et les manuels, après avoir prêché la doctrine professionnelle de la stabilité du cadre et de la composition parfaite, ouvrent la possibilité d’une caméra portée à l’épaule. Emmenée par le corps du cinéaste, la caméra amateur acquière une nouvelle forme d’expressivité, plus proche des mouvements de la vie mais aussi des enjeux de société. Grâce à sa mobilité, elle permet aux anthropologues d’aller filmer sur des terrains inaccessibles auparavant, elle devient un outil de connaissances des cultures lointaines. La caméra est modeste, elle ne fait pas offense, elle peut être manipulée par les uns et les autres. Les documentaristes se saisissent de la caméra amateur car elle produit un rapport différent à ceux qui sont filmés. Elle permet de franchir certaines frontières, de rentrer dans les bidonvilles, dans les usines, dans les prisons, d’investir différents espaces, militants, politiques, non seulement pour témoigner de réalités sociales mais aussi pour donner aux acteurs de ces réalités la possibilité de se filmer eux-mêmes.

 

 

Ci-contre : Bolex L8