Pathé Super Rural Type 45

Les Pachiaudi, tourneurs du Bugey

Marguerite est institutrice, Honoré est employé sur le chantier du barrage de Génissiat dès 1937. Dans le garage de leur maison d'Anglefort (01), Honoré rêve d'ouvrir une salle de cinéma : le Capitole, comme celui de Nice qu'il fréquentait plus jeune. En attendant ce jour, les Pachiaudi acquièrent à Seyssel un projecteur 16 mm Super Pathé pour la somme de 80 000 francs et commencent avec lui des projections itinérantes le long du Rhône, entre l'Ain et la Haute-Savoie.

Le 26 décembre 1947 pour la première séance à Chanay, les spectateurs sont si nombreux qu'Honoré installe le projecteur à l'extérieur de la salle.  Leur tournée hebdomadaire s'enrichit de nouvelles étapes. A bord de leur Quadrillette Peugeot, les Pachiaudi transportent leur équipement cinématographique de cafés en salles des fêtes : Anglefort, Billiat, Chanay, Franclens, Challonges, Génissiat, Injoux... présentant aux villageois des films aussi variés que "Tarzan trouve un fils", "Volpone", "Vive les étudiants" et les comédies de Fernandel. Mais au fil des ans la chute de la fréquentation conduit la petite entreprise à la fermeture en juillet 1951. Il n'y aura pas de Cinéma Capitole à Anglefort.

Le projecteur Super Pathé, son ampli et un tourne disque Teppaz feront partie des premiers appareils collectés par la Cinémathèque en 1999.
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Extrait de l'ouvrage "Le colporteur d'images"
de Michel Najar

Initiateur du format réduit, Pathé lance en 1912 le Pathé-Kok d'un format de 28mm, puis en 1922 le format 9,5mm Pathé-Baby destiné au cinéaste amateur. La société Pathé-Cinéma s'intéresse ensuite à l'exploitation commerciale du cinéma dans les villages de moins de 5000 habitants et travaille pour cela à un projet de format réduit d'une qualité d'image préservée au maximum.

En 1926 le Pathé-Rural avec une pellicule de 17,5mm de largeur est annoncé, le premier projecteur sort officiellement fin 1927. Il est pensé pour faciliter son usage en milieu rural  selon la formule de Charles Pathé "Le cinéma partout et pour tous". Si Pathé relève le défi du cinéma parlant en 1933 avec le Pathé-Rural sonore, l'essor du format américain 16mm et la volonté d'uniformisation des formats réduits à l'échelle internationale poussent Pathé à s'adapter. En 1937 Pathé-Natan annonce la sortie du projecteur 16mm Super Pathé.

C'est l'Occupation qui marque la fin du format 17,5mm, quand le 21 juin 1941 les allemands interdisent son utilisation : les projecteurs 17,5mm doivent soit disparaître, soit être adaptés pour le 16mm. Le Super Pathé Type 45 est la dernière évolution de cette série Super Pathé Rural initiée en 1937.
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Sources : Article de Christel Taillibert dans "1895, revue d'histoire du cinéma" n°21 / Articles de Jean-Claude Laubie dans "Cinéscopie" n°1, 2 et 3

Fabriqué durant les années 1940

Cadence : 24 i/s
Lecture son optique
Bras pour bobine de 600 mètres avec frictions réglables
Entrainement par moteur asynchrone

Déposant et utilisateur : Honoré Pachiaudi

Debrie 16 type MB 15

Le projecteur de cinéma Debrie est né en 1954. Depuis son premier modèle, le MS 24, avec l’amplificateur suspendu, jusqu’au modèle MB 15, les évolutions sont notables. Très pratique puisqu’utilisable sur une table ou sur son pied, réglable en hauteur par inclinaison sur sa base d’amplificateur, il a beaucoup servi dans les ciné-clubs (comme à Saint-Claude, Jura), les salles de projection rurales, les patronages, les écoles. C’est dire ses qualités face aux amateurs éclairés de l’époque. Je l’ai connu lorsque j’officiais aux projections du ciné-club de la MJC de Besançon-Palente, vers 1966 en utilisant les services des œuvres laïques. Que de classiques ai-je projetés grâce à cet appareil :  Kurosawa, Melville, Godard, les westerns américains... C’était un matériel sérieux, fort répandu, qui a permis la diffusion du cinéma dans les endroits les plus reculés, apportant autant la distraction que les connaissances, la culture, la vie… !
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Denis Bépoix

 

Ce projecteur nous a été confié par René Vernadet, cinéaste, opérateur, réalisateur, écrivain, alpiniste et fidèle administrateur de la Cinémathèque des Pays de Savoie et de l'Ain, pour notre plus grand plaisir. En plus de ses innombrables souvenirs de tournage, d’expéditions au Mont-Blanc ou au Tibet, René Vernadet  nous a transmis une incroyable collection d’appareils de cinéma. Il utilisait ce projecteur Debrie lors de ses conférences pour Connaissance du Monde.

Nos collègues de Cimalpes lui ont consacré un beau parcours thématique >>>
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Margot Lestien

Les établissements Debrie ont été avec Pathé les principaux fabricants français de matériel cinématographique. Même si le nom Debrie est peu connu du grand public, cette société n’en reste pas moins un acteur majeur dans la grande histoire du cinéma, notamment par ses innovations en terme de conception et d’ingénierie.

Si vous souhaitez en apprendre d’avantage, je vous invite à lire cette page du site de la société CTM-Debrie héritière et continuatrice de l’esprit et du sérieux des établissements fondés par les frères Debrie en 1905.
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Pierre Bouchut

Les établissements Debrie sur le catalogue des appareils cinématographiques de la Cinémathèque Française et du CNC >>>

Ci-dessous, l'amplificateur audio intégré au socle du projecteur MB 15

Fabriqué à partir de 1950

Cadence : 24 i/s
Lecture son optique

Entraînement du film par trois griffes
Amplificateur incorporé

Déposant et utilisateur : René Vernadet

Équipement cinéma de la manufacture de Nanjing

Comment cet appareil fabriqué dans le milieu des années 1950 en Chine a-t-il pu atterrir en Savoie ?

Les moyens modernes de traduction nous ont permis de scanner et de traduire les inscriptions présentes sur les plaques métalliques d'identification. Nous savons donc que cet ensemble a été fabriqué dans une usine d'État de la ville industrielle de Nanjing, entre 1954 et 1956. Il est composé de trois éléments : projecteur, amplificateur audio et alimentation électrique.

Durant les quelques heures où j’ai en partie démonté et observé cet ensemble sous toutes les coutures, il m’a étonné à plusieurs reprises. Tout d’abord le design du projecteur m’a paru être inexistant. Puis lorsque j’ai vu que le bras avant se repliaient et se bloquaient automatiquement pour former une solide poignée de transport, j’ai compris que ce projecteur avait été pensé de manière assez maline.

Ensuite, en observant la forme du socle du projecteur et la partie supérieure de l’amplificateur, j’ai compris que ces deux parties formaient une paire. Il est même possible de les solidariser l’une à l’autre grâce à une large vis traversant le socle du projecteur et venant "se prendre" dans la partie supérieure de l’amplificateur. Ce tout imposant formé par l’amplificateur et le projecteur pèse assez lourd mais reste tout à fait transportable grâce à la poignée décrite plus haut.

L’alimentation électrique, contrairement aux deux éléments précédents, comporte quelques traces de rouilles à l'extérieur. Cela est dû au fait qu’elle n’a pas de caisse de rangement la protégeant des aléas climatiques.

[suite dans les pages suivantes]

Ci-contre, le projecteur avec les deux bras repliés. Il est facilement transportable en le saisissant par la partie striée.
Ci-dessous, l’alimentation externe convertissant les 220 volts d’entrée en plusieurs tension de sorties différentes (110, 30 et 5 volts)

 

 

Jean Pobelle, le propriétaire de cet ensemble, était garde moniteur du parc de la Vanoise. Il commence à tourner pour la documentation du parc et acquiert différents appareils que sa famille nous a confiés en 2019 : une caméra Beaulieu R16, une caméra Paillard Bolex H16, un projecteur Bell & Howell et le projecteur dont il est question ici. La famille de M. Pobelle n’a pas su nous dire comment et quand il avait acquis cet ensemble venu de la Chine des années 1950.

Ce projecteur reste, pour le moment, un mystère. Les nombreuses indications manuscrites présentes sur les trois éléments montrent que ce projecteur a eu une vie active. Autre détail intéressant mais très peu visible sur les photos : la partie électrique du projecteur semble avoir été modifiée au niveau de ses connectiques.

Pour finir, je n’ai pas remis sous tension ces trois appareils, bien que leur état semble parfait. N’étant pas persuadé d’avoir véritablement compris tous les branchements électriques malgré les nombreuses inscriptions (me manquerait-il des câbles ?), j’ai préféré ne rien mettre sous tension. Il faut parfois savoir devenir patient et humble devant un système dont les subtilités nous échappent afin de le préserver. Comme le dit l’adage : dans le doute, on s’abstient.

Si quelqu'un possède des informations ou des idées pour continuer mon enquête sur ce projecteur, je suis preneur.
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Pierre Bouchut

 

Ci-dessous, les faces avant et arrière de l'amplificateur audio

Fabriqué dans le milieu des années 1950

Traduction brute (application Google) des différentes plaques d'identification : projecteur mobile sonore 16mm, Type 54 / Amplificateur de film 15 W, modèle 90y-2 / Équipement cinéma de la manufacture de Nanjing / Usine de radio gérée par l'État

Déposant : Famille Pobelle
Utilisateur : Jean Pobelle

Voir un film de Jean Pobelle "Dans la vallée de Bessans" >>>

Buisse et Bottazzi Type 9

Un aspect extérieur massif entre vert kaki et gris métal, un poids colossal, une marque dont je n'ai jamais entendu parler et deux courroies cassées : mon premier contact avec le Type 9 de chez Buisse et Bottazzi n’a pas été fameux.

J’enlève le capot protégeant les entrailles mécaniques de ce projecteur afin de régler ce problème de courroie. Je pose le capot sur mon plan de travail, me retourne face au projecteur nu et découvre une beauté comme jamais je n’en avais vu. Je l'avoue sans détour : je suis tombé amoureux de la mécanique interne du Type 9.

Les ricaneurs et tous ceux qui ont le cœur aride ne comprendront jamais ce que j’ai ressentit ce jour-là. L'ingéniosité et la simplicité se sont unies pour enfanter ce projecteur, il n'y a aucun doute.

Trêve d’amourette. Le Type 9 est un formidable projecteur 16mm fabriqué à Lyon au sein de l’entreprise fondée en 1949 par messieurs Jean Buisse et Paul Bottazzi. Durant 50 ans, cette petite entreprise a produit avec passion des projecteurs sans faire aucune concession sur la qualité. Le résultat ? Des projecteurs qu’on qualifie, encore de nos jours, de "Rolls Royce".

Personnellement, je trouve cette comparaison avec ce constructeur automobile peu flatteuse. En 2020, Rolls Royce appartient au groupe BMW et sort à la chaîne plus 5000 voitures par an… Nous sommes loin du constructeur passionné où chaque exemplaire produit est unique, et dans lequel chaque détail - du moteur à l’habitacle - a été façonné par un ouvrier talentueux. Hors, chez Buisse et Bottazzi, chaque pièce était usinée puis ajustée à la main, chaque projecteur était monté par ses deux fondateurs et une poignée d’ouvriers, le tout dans un petit atelier silencieux dans le troisième arrondissement de Lyon. Définitivement, le fabuleux B.B. Type 9 ne ressemble en rien à une vulgaire R.R. Phantom. Non, le Type 9 est comme une Citroën SM, une machine aujourd’hui rare et faisant figure d’OVNI, avec laquelle ses concepteurs ne pensaient pas "ventes massives" mais plutôt "perfection sans concession".
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Pierre Bouchut

Extraits du livre « Buisse et Bottazzi, enfants des Lumière » de Bernard Violet.


1952-1959
[...] Mais revenons au sujet qui nous préoccupe. Nos deux ajusteurs monteurs [NDR : messieurs Buisse et Bottazzi] dès la Libération ressortent leur projet des cartons, construisent leur petit atelier avenue des Acacias et se lancent dans la construction de leur premier appareil de projection.

En 35mm et à destination professionnelle. Une dizaine d’exemplaires construits à temps perdu durent vendus. En 1995, cinq étaient toujours en exploitation dont les deux premiers au foyer de Montchat [NDR : Lyon, 3ème], l’entreprise était alors en concurrence avec une douzaine de fabricants français, sans compter les Allemands, Italiens, puis plus tard le Tsunami Japonais, la fabrication industrielle de matériel de Cinéma pour répondre à la demande croissante d’une nouvelle clientèle, amateurs, conférenciers, ciné-clubs, etc… La réaction de nos deux amis ne se fit pas attendre, sans autres titres que leurs diplômes de la société d’enseignement professionnel du Rhône, sans financement exceptionnel, ils ont ajouté à leurs compétences dans le travail des métaux, celles de l’électronique et de l’optique, la boucle fut bouclée, le premier projecteur 16mm puis tri-film (8mm, 9,5mm, 16mm) B&B vit le jour. Une mécanique parfaite, permettant par échange des débiteurs, du couloir et du presseur son, la lecture ou l’enregistrement de la bande sonore, qu’elle soit située à la droite ou la gauche de la pellicule, par un lecteur de son mobile.

Le tri-film B&B est un véritable mouton à cinq pattes, convenant à cette époque où amateurs et professionnels se répartissaient sur trois formats. Mais la concurrence et le prix pratiqué par les gros fabricants, Heurtier et son tri-film en France, Paillard en Suisse, ne permit la fabrication et la mise sur le marché que d’une dizaine d’exemplaires, tous jalousement conservés par leurs propriétaire. Très vite la production se recentra sur le modèle mono-film 16mm qui vint concurrencer Debrie et Pathé vieillissant, environ 200 unités du Type 5 furent produites, dont beaucoup sur-mesure, un spécificité-maison.

1960-1968
[...] Au début de la décennie, un nouveau modèle vit le jour, baptisé simplement « modèle vert » (Type 6 ou 7 suivant les variantes, ou les commandes), ce fut le plus diffusé des 16mm, environ 350 unités furent commercialisées. Beaucoup furent adaptés aux souhaits des acquéreurs. Il trouva sa place dans les cabines de projection de nos villages, remplaçant petit à petit les Hortson de nos pères en fin de vie, avec l’apport d’un équipement moderne. Une lanterne Xénon remplaçant avantageusement les anciennes lanternes à charbon, ou nos lampes P¨28 d’alors. Résolument moderne, techniquement parfait, la Rolls des projecteurs.

Le B&B modèle 9 vit le jour à une époque où le 16mm était le format roi dans nos villes et villages, les constructeurs Allemands et Japonais ne laissant que peu de place à notre petit entreprise, qui ne s'intéressait que fort peu à la publicité de ses produits, on venait à l’atelier de la part de connaissance, pour commander son appareil, pour un livraison à quelques mois, voire une année. Un autre monde face aux industriels qui livraient leurs appareils livrés en grande séries à un meilleurs pris (Elmo, Eiki, Bauer). Ce projecteur B&B modèle 9était alors exceptionnel, optique et magnétique, enregistreur, équipé de bras de 1500 mètres, d’une lampe 24V 250W, permettait la projection d’un film complet sans entracte. Le problème ? Son prix. D’où son accueil mitigé. Aujourd’hui après plus de quarante années il demeure très recherché. Environ 250 appareils furent produits dont certains en double bande (brevet déposé par Buisse) à destination des médias et de la télévision, ou équipée avec lanterne Xénon de puissance variable pour les salles non encore équipées en 35mm.
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Ci-contre : le stroboscope permettant de contrôler la vitesse de projection (fonctionnement similaire au stroboscope de certaines platines vinyle)

Fabriqué dans les années 1970 (estimation)

Cadence : variable de 15 à 30 i/s
Lecture son optique et magnétique
Bras pour bobines de 1500 mètres

Utilisation simple
Très fiable et très lumineux