Horizons

L’automatisation croissante des caméras répond aux exigences d’un développement industriel soumis à la concurrence et à une nécessité de forte expansion du marché. Tenues dans des mains de plus en plus nombreuses, les caméras numériques ont aujourd’hui intégré les outils de communication. Les téléphones portables se situent dans le prolongement de ce processus de démocratisation et d’automatisation entamé par le cinéma Super 8, permettant de filmer et de partager plus facilement toujours plus d’images. Pour autant, l’image de soi prend le pas sur la dimension familiale ou collective. De manière troublante, l’aboutissement de ces idéaux de portabilité et d’accessibilité représente une ubiquité qui va de pair avec le développement des dispositifs de surveillance.

Le numérique rend l’automatisation plus puissante : les caméras sont programmées pour filmer à coup sûr, obtenir des images parfaites, quelles que soient les conditions de tournage ou les compétences des personnes qui filment. En concédant de plus en plus de réglages à un logiciel, c’est le potentiel expressif, à la fois de l’appareil et de celui qui filme, qui se trouve réduit. L’un des risques d’une caméra simple est d’offrir moins de possibilités de détourner son mode d’emploi : se pose dès lors la question de la singularité de l’expression. En cherchant à faire disparaître les défauts de la prise de vues, les algorithmes qu’utilisent les programmes des caméras vont jusqu’à donner un style aux images. Ainsi, faudrait-il se résoudre à ce qu’elles se ressemblent toutes un peu plus et ne reproduisent que ce que l’on a déjà vu ?

En contrepartie, les technologies numériques permettent à toujours plus de personnes d’accéder aux outils de l’expression. La légèreté des moyens – téléphone et Internet – permet de rendre compte de la gravité de situations lors d’événements politiques comme le Printemps arabe et la révolte syrienne, et ce, en dehors du journalisme ou de la propagande des pouvoirs en place. Des centres de production se sont créés dans des régions du monde où il n’y en avait pas jusqu’alors, comme au Nigeria avec l’essor de Nollywood. De nombreux projets de médiation, de formation et d’intervention peuvent se mettre en place plus facilement, comme le Wapikoni mobile au Canada qui, avec des camions équipés de matériel, se rapproche des populations et donne la possibilité aux communautés autochtones de faire des films sur leur réalité et leur culture.

 

" Ni règles, ni échéance, ni sanction, si jugement de valeur. Juste de la liberté (narrative et formelle) et du plaisir. "

Boris Lehman, 2016

 

Avec le numérique, l’amateur peut filmer plus facilement, comme il veut, quand il veut, et si ce cinéma est le lieu du conformisme et du désir de « faire pro », il peut être aussi celui où l’on fait autrement. « Ni règles, ni échéance, ni sanction, ni jugement de valeur. Juste de la liberté (narrative et formelle) et du plaisir », défend Boris Lehman. Quelle que soit la technique, il est toujours possible de se réapproprier la simplicité de l’outil pour exprimer du désir, de l’engagement, un regard, avec des gestes esthétiques. L’audace étant à portée de tous, comme les caméras, quelques amateurs trouveront toujours des moyens non conformistes de s’exprimer pour inventer de nouveaux horizons.